Un district juif léger, grave, intense… en vie
Vendredi après-midi à Budapest : comme un grand verre de cocktail, les rues de la capitale se remplissent
de touristes venus faire la fête tout le week-end. Quant à nous, bientôt sur le départ, nous trépignons à la perspective
du dernier tour guidé que nous allons vivre dans cette ville. Voilà une semaine que nous logeons au cœur de l'ancien ghetto juif.
Avant de partir, nous tenons à apprivoiser ce lieu à hauteur d’yeux d’un local.
Nous retrouvons Flavia à la sortie de la grande synagogue de Budapest, entourée de sa petite troupe de touristes – ils ont les
oreilles ravies et la bouche pleine de questions. La jeune guide roumaine, qui s’est installée depuis quelques temps sur les
rives du Danube, a pour deuxième prénom Elisabeth, en hommage à la très aimée princesse Sissi.
Et l’autre nom du ghetto juif, c’est précisément Elisabethtown (ce qui revient à dire : Sissi-ville).
Sissi-ville, Sissi en fresque sur les murs, Sissi jusque dans les prénoms : le fief est acquis à la mémoire de cette souveraine adulée.
Photos : Gwenny NURTANTIO ©
L’esthétique du délabrement
Aujourd’hui, Elisabethtown est un quartier hectique, très vivant, particulièrement rugueux et truculent.
Le passage Gozsdu udvar en est le symbole : une ruelle bordée de restos et bars branchés (les guirlandes d'ampoules et les
suspensions végétales y sont bien sûr incontournables) qui accueille antiquaires le matin, yoga à midi et bachata au
crépuscule. Voyez l’enfilade : une boutique de designer, une façade en chantier, un barbier pour yuccie, un marteau-piqueur
en action…
Flavia donne son avis sur toutes les petites adresses, depuis le salon où goûter les gâteaux juifs Flódni les
plus authentiques jusqu’au comptoir à langosh (des beignets qu’elle décrit en ces termes éloquents : "really unhealty, very
hungarian").
Photos : Gwenny NURTANTIO ©
Pour peu qu’on lève les yeux, on est charmé par l’architecture qui se déploie dans ce district : l’art nouveau (appelé
ici "Sécession") a été porté de manière privilégiée par des architectes et des commanditaires juifs.
Pour peu qu’on passe un porche, on est troublé par la vétusté des cours intérieures. Dans un de ces clos, un pan de
l’ancien mur d’enceinte du ghetto a été préservé. On y lit une citation de la Torah : "Tu raconteras à ton fils…"
Et pour peu qu’on se rappelle que les rafles nazies et les actes antisémites ont eu lieu sur ces mêmes pavés, le cœur se
fige. On se souvient alors d’avoir vu hier, sur la promenade du fleuve, des souliers de bronze qui commémorent les exactions
commises contre les Juifs de Budapest. Place de la Liberté, un ange tend la main, en hommage à Carl Lutz, déclaré Juste
parmi les nations pour avoir sauvé la vie de 62.000 Juifs. Près de l’ange, on peut lire ce verset du
Talmud : "Qui sauve une vie sauve le monde."
Photos : Gwenny NURTANTIO ©
Car demain nous mourrons
Loin du ghetto et du pétillement de ses rues, il y a un endroit à visiter pour sonder l’âme hébraïque
de Budapest : le cimetière juif.
Délabrement urbain à Elisabethtown, délabrement végétal dans ce gigantesque cimetière. Les grandes tombes
s’affaissent, les marbres hochent de la tête, les cailloux blancs déposés sur les épitaphes se perdent dans la forêt
qui assourdit les pas des vivants.
Photos : Gwenny NURTANTIO ©
Vous êtes sous le charme de Budapest ?
Il se pourrait que le cimetière démesuré de Milan
et le penchant branchouille de Dublin vous plaisent également.
Entretemps, ajoutez à votre playlist les Rhapsodies hongroises de Franz Liszt.
Texte : Yoneko NURTANTIO ©
Voyage réalisé en 2019