Résumé
Quel jeune aura la vision la plus convaincante du monde de demain ?
Résumé
Quel jeune aura la vision la plus convaincante du monde de demain ?
L’homme ne pourra répondre avec pertinence aux grands défis du vingt et unième siècle qu’en faisant preuve d’innovation.
Or, si l’université ne nous enseigne pas la culture de la créativité, qui pourra le faire ? Et surtout, comment peut-elle
entrer concrètement dans cette dynamique ?
Se confronter à "l’autre"
La différence bouscule, et tant mieux, car elle nous fait avancer. L’enseignement universitaire devrait être centré sur
l’objectif premier de la résistance aux routines quelles qu’elles soient et, partant, de la confrontation à tout ce qui est
étranger. Cela se traduira d’abord par la volonté de composer un corps professoral aux multiples facettes. Privilégier la
diversité des points de vue plutôt que de l’étouffer, chercher des enseignants formés dans différentes universités, rester
alerte vis-à-vis de l’égalité entre hommes et femmes, sont autant d’ingrédients nécessaires pour faire du socle de l’institution
un terreau fertile. Sur cette base, il est primordial que les enseignements dispensés donnent à l’étudiant le réflexe critique
de toujours remettre les faits et leur analyse en question. Le professeur ‘idéal’ pointe honnêtement les problèmes de toute
théorie et les faiblesses de la connaissance scientifique. Et puis, il n’est pas seul : soit le cours est partagé entre deux
titulaires, soit il invite des interlocuteurs spécialisés à exposer leur point de vue lors des séances magistrales ou lors de
conférences annexes.
L’étudiant 'idéal' acquiert lui aussi cette culture de l’altérité : il étudie un temps à l’étranger (les partenariats Erasmus
ou autres sont optimalisés pour toutes les filières, même les plus modestes) et, de retour chez lui, il cherche à rencontrer
des personnes issues de différents niveaux, sections, facultés, parcours, personnalités, etc. L’université a la capacité de
faciliter ces échanges en créant des plateformes de discussion qui réunissent soit selon les facultés, soit selon les intérêts
personnels, de sorte que, par exemple, l’historien de BA2 puisse apprendre à connaitre le philosophe qui commence sa thèse via
la plateforme facultaire, et qu’il rencontre un polytechnicien de BA3 via la plateforme d’intérêt personnel. L’université ne
devrait pas hésiter pas à investir dans ces espaces de discussion car ils permettent d’une part d’élargir les horizons des
étudiants et de voir émerger des idées neuves, et d’autre part, de tirer chacun vers le haut, selon le système bien connu de
coaching des plus jeunes par leurs aînés. Tout le monde en ressort grandi.
Une remarque cependant au sujet de la diversité des étudiants. La surpopulation des auditoires est actuellement un problème
prégnant, mais qui reste un tabou sous couvert du droit de tous à l’enseignement. On ne pourrait exclure personne. Or, si
l’on reprend le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme, il y est clairement stipulé que "l'accès aux
études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite" (article 26 partim; mes
italiques).
C’est là la solution simple et juste, qui permettra aux universités de conserver des standards d’éducation élevés. Instaurer
un examen (et non un concours !) d’entrée permettrait à la fois aux universités de prodiguer un climat de travail plus serein,
voire un suivi des étudiants dès le bachelier, et à la fois aux jeunes de s’orienter de façon plus clairvoyante. En effet, à ceux
qui auraient échoué lors de cet examen d’entrée, s’offriraient deux possibilités : primo, se tourner vers d’autres types d’études
supérieures qui leur soient mieux adaptées (et qui fussent enfin revalorisées ; il faut en finir avec cette idée selon laquelle
tout le monde devrait aller à l’université parce qu’elle est le seul type d’enseignement valable). Secundo, opter pour une année
de préparation qui les prépare réellement à réussir cet examen ; on y reverrait la matière, mais on y préparerait aussi à la façon
de répondre à une question ouverte, aux stratégies dont il faut être conscient pour réussir un questionnaire à choix multiples,
à la démarche scientifique, etc. Cette année préparatoire permettrait de rétablir autant que faire se peut les différences
de niveau entre étudiants de BA1. Le rallongement de la durée des études (six ans au lieu de cinq) n’est qu’une illusion, car une
large majorité des étudiants ayant échoué à cet examen d’entrée auraient probablement trainé en route au fil de leur parcours
universitaire. Dès lors, autant prendre le temps de rétablir une base solide sur laquelle démarrer ses études. Il ne s’agit donc
pas de discriminer les candidats étudiants sur un critère ploutocratique, mais bien plutôt en fonction de leurs capacités ; et de
donner un coup de pouce à tous ceux qui sont de bonne volonté.
Sur le terrain
Il y a un an, J.-Fr. Vanwelde critiquait la tendance à vouloir remplacer l’enseignement des connaissances par celui des
compétences. Bien que la mode des savoir-faires, prise dans sa version extrême, ne livre pas de bons résultats, il ne faut pas
négliger l’apport positif de la partie active de l’enseignement, même universitaire. Si donc les cours idéaux se focalisent
effectivement sur la transmission de savoirs (et sur leur critique), l’université devrait veiller à mettre en place un partenariat
effectif entre les étudiants et les entreprises d’une part, les chercheurs de l’autre. En ce qui concerne les entreprises, très
concrètement, il serait par exemple envisageable de leur proposer d’amener l’un ou l’autre problème auquel elles sont confrontées
pour le faire résoudre par un groupe d’étudiants (et éventuellement un tuteur) : elles y gagneraient les fresh ideas de
fresh people, tandis qu’eux en retireraient la confrontation à une situation réelle, parfois très différente de la
réalité qu’ils peuvent se représenter via leurs cours. Un tel partenariat se doit de rester entièrement gratuit, pour éviter
tout biais d’entrée de jeu. Un second aspect du volet "sur le terrain" à l’université pousserait les professeurs à inclure plus
spontanément les étudiants dans leurs projets de recherche, pour les familiariser à leur méthodologie et leurs actions.
Oser prendre des risques, c’est-à-dire sécuriser
De deux choses l’une, c’est que l’université doit se montrer moins frileuse dans ses investissements pour la recherche. L’autre,
c’est qu’il lui faut sécuriser les perspectives de carrière de ses chercheurs. Ils sont en effet souvent bridés par le manque
de moyens qu’on leur alloue, en particulier dans le domaine de la recherche fondamentale. Or, le rôle de l’université, pour
reprendre les termes de Th. H. Eriksen, est d’être "irrelevant in a relevant way" : elle n’est donc pas supposée financer
d’avantage la recherche appliquée que la recherche fondamentale. Qui plus est, investir dans ce second secteur, même si les résultats
qu’il livre sont a priori moins rentables, s’avère souvent un véritable moteur pour l’innovation. Il est bon de rappeler qu’on
gagne à prendre la perspective du long terme et du bénéfice scientifique sur la durée, plutôt qu’à garder un intérêt mesquin pour le
bénéfice financier directement tangible.
Par ailleurs, l’université fait un mauvais calcul en supposant que ses cerveaux seront plus productifs s’ils n’ont aucune certitude
quant à leur avenir professionnel. La carrière de chercheur est trop souvent mise à mal : en sciences humaines, on bricole des
parcours faits de fragiles post-doctorats ou de contrats à (courte) durée déterminée sans avoir rien d’assuré pour la suite, alors
que celui qui se montre performant devrait avoir la certitude – à condition de demeurer brillant – que l’université le financera
ou l’aidera à trouver un financement fixe pour les années à venir, sans crainte d’être au chômage une fois passés les cinquante ans.
En sciences exactes, l’université doit apprendre à rémunérer ses cerveaux à des tarifs compétitifs, afin d’éviter qu’ils ne s’exilent
tous dans le secteur privé... ou dans des universités étrangères.
Il est également nécessaire de souligner qu’au niveau du doctorat, l’université ne doit pas hésiter à opérer un choix très clair
entre les candidats. Les promoteurs et jurys devraient avoir la clairvoyance et l’honnêteté suffisantes pour déceler le postulant
prometteur et pour exclure celui qui n’a pas l’étoffe d’un chercheur. Dans les années à venir, l’université aura très probablement
moins de moyens à sa disposition, et ces moyens seront encore d’avantage sollicités (notamment si elle désire mettre en place
quelques-uns des axes proposés ci-dessus). Et si l’université doit arriver à "en faire plus avec moins", il importe qu’elle
réfléchisse sérieusement à la manière dont elle veut investir. Il faut donc arrêter de s’obliger à investir dans ce qui ne rapporte
rien en termes d’accroissement de la connaissance ou sur le plan financier, sous simple prétexte d’égalité de traitement pour tous
(ce que j’appellerais une tendance à "l’égalisme"). Une fois de plus, c’est le mérite qu’il convient de mettre à l’honneur. Il
n’est plus soutenable, dans le contexte actuel, de maintenir l’illusion qu’il existe une égalité universelle sur le plan intellectuel,
et de morceler les crédits qui devraient revenir aux plus doués pour les éparpiller sans résultat. Pas plus que tout le monde ne doit
être universitaire, tout le monde ne doit être chercheur ; ce sont là des réalités que la bannière de l’égalité a la fâcheuse tendance
de masquer un peu trop.
Le monde de demain n’est plus celui d’aujourd’hui
Le monde dans lequel nous vivons est devenu plus complexe : les causes et les effets se confondent à tous niveaux, qui sont
tous connectés entre eux (la géopolitique, l’environnement, le savoir, l’économie, etc.). Il est donc illusoire de penser que le
futur serait dans une certaine mesure prédictible et qu’il nous suffira d’appliquer aux situations de demain les solutions que
nous avons mises en place par le passé, de façon purement linéaire. Albert Einstein a un jour écrit : "We can not solve problems
by using the same kind of thinking we used when we created them". Cette réflexion pleine de bon sens mène à deux
constats : (1) c’est de la jeune génération que doivent jaillir les réponses à la question centrale et multidimensionnelle de savoir
comment faire face aux défis à venir. (2) L’université se voit attribuer la vaste tâche de former ces jeunes, ces décideurs de demain,
à une flexibilité face à toute situation nouvelle, et de leur donner la capacité à y répondre.
TWEET :
La vocation de l’université : former les jeunes aux défis imprévisibles qui les attendent. La solution : prôner
la culture de la créativité.
Texte : Yoneko NURTANTIO ©
(2012)