Nurtantio Projects

"9 propositions pour un enseignement supérieur de qualité"

Carte blanche publiée dans Le Soir

Par Yoneko Nurtantio, experte enseignement supérieur, auteure chez Larousse

Homo Faber - Le travail contemporain Rapport au temps


Après 6 années de travail auprès de l'Agence pour l'évaluation de qualité de l'enseignement supérieur, Yoneko Nurtantio propose plusieurs pistes pour améliorer le fonctionnement de l’enseignement supérieur.

Superpouvoir du jour: sous votre cape d’invisibilité, vous avez la chance d’observer le fonctionnement de l’enseignement supérieur francophone. C’est l’expérience immersive que j’ai réalisée à l’Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur (AEQES). J’ai participé à l’évaluation de plus de 70 programmes dans 50 établissements. Sur base d’entretiens avec plusieurs milliers de personnes à travers tous les réseaux et toutes les formes d’enseignement, je formule 9 propositions pour renforcer la qualité des formations.

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1. Financer via des chèques-études

Et si chaque enfant recevait un "chèque-éducation" finançant 300 ECTS, soit 5 ans d’études dans le supérieur? À chacun de choisir : revendre mon chèque à l’État pour travailler directement ? Acheter des ECTS supplémentaires pour suivre un 2e master? Étaler ma formation pour augmenter mes chances de réussite? (1)


2. Orienter et lever l’autocensure

Le 1er défi est de choisir judicieusement le cursus dans lequel s’inscrire. Ne laissons pas les talents s’autolimiter, surtout parmi les profils socialement désavantagés. Et soutenez vos filles. Ma sœur et moi en témoignons: l’une de nous est ingénieure commerciale, l’autre a un double bachelier et un double master en Lettres. Pourtant, nous avions du mal à croire que nous aurions les capacités pour relever ces défis, que nous avons finalement remportés… toujours en première session. Alors, go girls!

J’ai rencontré des centaines d’étudiants qui regrettent leur premier choix, posé par hasard ou par défaut. Je plaide pour que les écoles secondaires et le supérieur renforcent le nombre, la place et la visibilité des conseillers en orientation (2).


3. Inspirer par des rôles-modèles

Incluez des rôles-modèles dans la formation pour assurer la fluidité du parcours, en particulier des alumni. Ils élargissent la vision des possibles, pour l’étudiant comme pour l’établissement.

Encourageons les étudiants à réaliser des stages, même courts, même avant l’entrée dans le supérieur.

Et dotez votre formation d’un comité de professionnels, pour éclairer vos choix pédagogiques. Ce board est l’atout indispensable pour assurer à vos diplômés une "employabilité durable".


4. Connais-toi toi-même

Y a-t-il un secret pour garantir la qualité de l’enseignement supérieur ? Il existe en tout cas un facteur de réussite central. La conscience de soi.

Pour le staff : allez voir "ailleurs". Erasmus, recherche, expérience non-académique, participation à des évaluations qualité (une formation à 360º !) : ces expériences enrichissent la compréhension du système dans lequel on navigue.

Pour les étudiants : un portfolio numérique l’accompagnera pendant tout le cycle, avec des moments d’introspection périodiques: quels sont mes acquis? Que dois-je approfondir? Quel est mon projet professionnel? Est-il en phase avec la réalité? Comment m’en approcher? Visons moins, visons mieux.


5. Autonomiser en langues

"Het niveau van de students in foreign talen": voilà un sujet d’éternelle insatisfaction. Je recommande que chaque cursus commence par déterminer le niveau à atteindre dans chaque langue.

On propose à l’étudiant un contrat de ce type : "À la fin de ton bachelier, tu devras prouver, via un test officiel, que tu as atteint le niveau B2 en anglais. L’atteinte de ce niveau B2 en anglais correspond disons à 25 ECTS. C’est un critère incontournable pour obtenir ton diplôme. Pour y parvenir, à toi de choisir : cours d’anglais, tables de conversation, tandems, cours à option en langue étrangère, mobilité (inter)nationale, etc. 2 fois par an, tu feras le point avec ton conseiller en orientation (cf. nº2)."

Les langues permettent de renforcer l’autonomie et les réflexes de développement professionnel.


6. Faire faire

Privilégions des pédagogies qui engagent l’étudiant de manière plus complète : faisons-les réaliser des choses. Optons pour des dispositifs qui fournissent du concret, ce concret auquel aspirent des centaines d’étudiants parmi tous ceux que j’ai rencontrés.

Les formations en alternance sont aussi une voie à développer: 2 jours sur les bancs, 3 jours en entreprise. Ce modèle prévient le décrochage et répond à la porosité entre l’entreprise et la formation tout au long de la vie. Une méthode qui a déjà fait ses preuves à l’étranger. Cette année, on se lance?


7. Croire en eux

Comment renforcer les attitudes d’entrepreneuriat, d’excellence et de participation démocratique? En soutenant les talents déjà entre vos mains. Suscitez l’esprit entrepreneurial, formez-les à créer des jobs.

Simple: assouplir le parcours (via des statuts dédiés).

Communicationnel: encourager à la participation, p. ex. via les entretiens réguliers avec le conseiller en orientation (cf. nº2), qui présentera l’engagement comme moyen de renforcer une compétence.

Pédagogique: décoder avec les jeunes élus les enjeux des instances représentatives où ils siègent (3).

Constructif: professionnaliser les associations étudiantes.


8. Prendre soin de soi

"Prends soin de toi": le leitmotiv de cette crise [NdA sanitaire]. Voici 3 pistes pour promouvoir la santé physique et mentale, au-delà des activités d’enseignement :

Se confronter à la précarité étudiante. Aide alimentaire, mais aussi apprentissage de pratiques d’hygiène mentale et corporelle, exercice physique, 1ers soins, etc. La paupérisation et le malaise des jeunes sont des enjeux institutionnels.

Offrir une alimentation de qualité sur les campus (4).

Rénover les toilettes. Je m’étais promis d’écrire un jour sur l’état des sanitaires dans l’enseignement supérieur en FWB. Un choc. Une honte – ou "Bagdad", selon les surnoms locaux. Un chantier prioritaire, témoin du respect que l’on porte aux étudiants et personnels.


9. Assurer des minima qualité

Pour ouvrir une formation officielle en FWB, il "suffit" de faire approuver sa proposition sur dossier. L’habilitation est octroyée sans limitation dans le temps et sans vérification. C’est un mécanisme tout à fait unique.

Pourtant, des évaluations sont bien menées par l’AEQES. Subtilité: ces résultats n’influencent ni le financement, ni les habilitations octroyées. Résultat: les évaluations sont des moments formateurs basés sur le dialogue. Placé dans un terreau favorable, ce système est une grande source de motivation. Mais lorsque l’AEQES émet un rapport alarmant, il est impérieux, pour la crédibilité du système, que le politique s’en saisisse.

À défaut, certaines formations sont en dessous d’un niveau minimum. Il est inacceptable que des étudiants (souvent dotés de moins de capital de départ) investissent dans des formations qui ne leur fourniront pas les clés utiles.


L’abominable vérité

Diplôme de bachelier ou de master en poche, rien ne vous assure une employabilité à long terme, vu l’évolution rapide des techniques et du tissu socioéconomique.

Voulons-nous d’un enseignement supérieur de qualité en FWB? Si oui, utilisons ces formations pour fournir aux citoyens des outils dont ils auront besoin tout au long de leur vie : habituons-les à poser des choix éclairés, à faire régulièrement le point sur leur développement, à prendre soin de leur personne entière, à exercer leur esprit entrepreneurial et à se former en toute autonomie. Nous aurons hâte d’être demain.



Texte et photo : Yoneko NURTANTIO © (2021)


Notes

(1) Voir également à ce sujet "Le prix Maystadt : “Le décret Paysage renforce les inégalités et la précarité étudiante”" (Le Soir, 26/02/2021).

(2) Pour éclairer les choix d’orientation, faisons aussi mieux connaître les plateformes existantes telles que www.mesetudes.be et www.siep.be

(3) En revanche, je ne crois pas à l’utilité de valoriser l’engagement étudiant sous la forme d’ECTS – une idée d’ailleurs peu portée par les étudiants eux-mêmes.

(4) Cf. mon article "Notre droit fondamental à une alimentation de qualité".


Yoneko NURTANTIO